Minerais de sang - Les esclaves du monde moderne by Christophe BOLTANSKI

Minerais de sang - Les esclaves du monde moderne by Christophe BOLTANSKI

Auteur:Christophe BOLTANSKI
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Bernard Grasset Paris


C’était un autre Blanc que je cherchais. Un homme avec qui des creuseurs en colère avaient failli me confondre. À part les taches de rousseur qui parsemaient ses bras, je ne lui trouvais aucune ressemblance avec moi. La soixantaine, un nez fort, des yeux bleus, un air moqueur, Yves Van Winden déjeunait, comme chaque midi, au restaurant Le Soleil, une grande paillote à claire-voie plantée à un carrefour. Derrière son dos, les serveurs débarrassaient le buffet. Il regardait autour de lui, pensif. Le toit de chaume, le bar et le dancing plongés dans l’obscurité, les prostituées assises autour d’une table, désœuvrées, les serviettes en train de sécher dans la cour, les fenêtres ouvertes donnant sur des chambres vides. « J’ai tenu cet endroit pendant un mois et demi », déclara-t-il, avec nostalgie, en allumant une cigarette. L’établissement appartenait à son directeur, ou plutôt son ex-directeur, un Sud-Africain, Brian Christopher, enfin, plus exactement, à l’épouse de celui-ci, une femme d’affaires tutsie connue à Goma sous le nom de « Madame Soleil ». Un mois plus tôt, il travaillait encore pour MPC, Mining and Processing Congo, la compagnie sud-africaine détentrice d’un permis à Bisie. Le fameux Yves, le diable blanc dont les creuseurs craignaient le retour, c’était lui. Il mangeait en compagnie d’un ancien collègue, un Congolais, « Maître Tabu Samba ».

- On est tous les deux au chômage. Là-haut, on ne peut plus rien faire, fit-il. On nous a même tiré dessus.

- On nous a fusillés, surenchérit Me Samba.

- Qui ça ?

- Des militaires du colonel Samy, reprit Yves. Ils étaient payés par la concurrence. L’un de nos gars a été blessé. Ils ont tout fait pour nous décourager. Ils ont monté les gens contre nous. MPC a conservé un centre d’achat, au niveau de l’aéroport. Mais ceux qui comme nous faisaient partie du département minier ont tous été remerciés. » Au moins, les deux hommes pouvaient-ils continuer à manger à l’œil dans leur cantine préférée.

Né à Kinshasa, à la veille de l’indépendance, Yves Van Winden n’avait jamais quitté le Congo. Une chemise à manches courtes, un gilet multipoche, c’était un de ces Belges d’Afrique reconnaissables à quelques expressions langagières inspirées du swahili, à des gestes, comme cette habitude de claquer des doigts en abaissant le bras, ou des onomatopées, telles que « Ah-ma-ma-ma ! », sorte de « Aïe aïe aïe ! » local. Il avait longtemps piloté des avions, des taxis-brousse, des petits porteurs, des appareils bourrés d’armes et de munitions. Durant la guerre, avec son Cessna 206, il ravitaillait les Maï-Maï alliés à Joseph Kabila contre les rebelles tutsis et les soldats rwandais. Il tendit son crâne clairsemé au-dessus de la nappe. « Là, les trous dans ma tête, ce sont des éclats de métal ! La bombe d’un de nos Antonov a explosé au décollage, à Kisangani. Ah-ma-ma-ma ! On a parlé de sabotage. Je pense plutôt à du matériel défectueux. » Dans la région, on l’appelait le « Chat Botté », le « commandant Yves » ou encore le « Maï-Maï volant ».



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